Combats du 11 juin 1918 à Méry

Dans la nuit du 10 au 11, le 114 rassemblé autour de Montgerain
 et de Vaumont achevait ses préparatifs pour être en mesure
de progresser dans les directions de Courcelles ou de Méry...

Le 11, dès l'aube, les ordres et les objectifs se précisaient.
La 152e D. I. encadrée entre la 125ème et la 129ème recevait la mission
de refouler l'ennemi sur Ressons-sur-Matz.
Le 114 aborderait Méry et presserait ensuite au-delà face à l'Est.
 Deux groupes de chars étaient mis à sa disposition.
 A 10 heures, précédés des tanks, les Bataillons d'attaque
(Cdt Durand à gauche, Capitaine Ringwald à droite) passent la voie
ferrée Estrees StDenis-Montdidier, suivis du Bataillon de soutien
(Cdt Conscience) qui franchit cette même ligne à 10 H. 20.
L'ordre d'opération No. 747 arrive à ce moment. Il mentionne là reprise de
Méry par les Chasseurs à pied. Dans ces conditions, le 114, dont les
deux Bataillons de tête devront déboucher de part et d'autre du village
à 11 heures, se portera résolument sur la ferme du Moulin Maret et
sur Cuvi1ly...
En ordre parfait, comme à la manoeuvre, les petites colonnes s'avancent
au travers des blés... le soleil sorti des brumes inonde de rayons
d'or les vagues bleues... D'un mouvement rythmé presque égal, elles
déferlent de Montgerain, balayent le talus du chemin de fer, recouvrent
la cote 113 vont submerger Mery. C'est alors que, parti des lisières, un
épouvantable feu accueille les Cies d'assaut. Méry, signalé comme
enlevé, est encore aux trois quarts entre les mains de l'ennemi. Il s'y
retranche derrière les murs, les barricades improvisées, derrière les clotures
des jardins. Des maxims (mitrailleuses) ont été hissées dans le clocher.
 Chaque maison "avec ses airs de trahison" vomit brusquement la mort par toutes
ses fenêtres.
Le 2e Bataillon surpris d'abord s'arrête. Il semble hésiter. Va-t-il
attendre et tâcher de contourner l'obstacle?  Non... là où des troupes
d'élite ont échoué, le Régiment de Vendée n'a pas le droit d'échouer.
Dans un magnifique élan, il reprend sa marche et se précipite furieusement
sur Méry. Les chasseurs dépassés par les nôtres ne peuvent retenir
leur admiration qui éclate en enthousiastes bravos.
Quel est donc ce Régiment demande un de leurs Officiers ?
Le 114 lui répondent cent bouches frémissantes.
Et il y a dans cette simple réponse un orgueil d'une héroique et intraduisible beauté.

Un combat de rue commence alors, d'une opiniatreté inouïe.
Si l'attaque est acharnée, la résistance ne l'est pas moins, on se tue à coup
de fusil, à la baionette, à coup de crosse, à coup de grenades,
les mitrailleurs boches tirent avec frénésie leurs bandes et s'affaissent lardés
de coups sur leurs pièces...
L'un après, l'autre cependant tous les centres de résistance s'écroulent...
plus de 200 prisonniers et 50 mitrailleuses sont dirigés sur l'arrière.

Il est midi,  la 7e Compagnie avec 3 chars est arrivée à la corne Est de Mery.
Sur la droite, la progression ne s'est pas effectuée non plus sans de sérieuses difficultés.
Arrivé aux abords de Be1loy, encore tenu par l'adversaire, le 3e Bataillon a été sensiblement
paralysé. Il se trouve à ce moment en flèche; la 165e DI n'a pu arriver à
sa hauteur, et le Bataillon Durand se bat furieusement dans Méry.

Superbe de bravoure, le Capitaine Ringwald fait front sur trois faces
à des contre-attaques qui ne peuvent réussir à le faire recuter.
Il tombe la jambe fracassée par un obus, mais ses hommes enflammés par son
exemple se cramponnent au terrain, bien décidés à ne pas en céder un seul
pouce.
Le Commandant Conscience, devant cette situation, pousse
ses Compagnies jusqu'au chemin Méry-Belloy pour renforcer le
3e Bataillon avec ses propres éléments et prenant le commandement de
l'ensemble, juge toute avance nouvelle extrêmement meurtrière et
périleuse tant que Belloy ne sera pas emporté.

Sorti de Méry, le 2e Bataillon a continué lui de marcher jusqu'à
500 mètres Nord-Est de la cote 134, lorsque du bois du Mer1ier débouche
une contre-attaque qui se développe rapidement sur la gauche.
Cette dernière n'a pu progresser aussi vite. Les chars d'assaut sont en partie
hors de combat, les sections sont singulièrement réduites.
Coûte que coute, on réussit cependant à tenir jusqu'au soir.

Sur ces entrefaites, le Colonel Bertrand a demanté à nos batteries
un tir d'écrasement sur les lisières Nord-Ouest et Ouest de Belloy.
Le mouvement en avant a repris. La gauche de la 10e Compagnie atteint
le calvaire du village, mais à la sortie Nord-Ouest se trouve une crête
qui est garnie de mitrailleuses. Leur tir est d'une précision telle, que
toute progression devient bientôt impossible. Il faut en finir.
Le Lieutenant du Halgouet s'est porté auprès du Commandant Conscience.
La plupart de ses tanks sont en flammes, son personnel est très éprouvé.
Lui-même a eu le bras brisé par un obus, il est couvert de sang,
ses vêtements sont déchirés, ses mains brûlées, sa figuré livide.
Très "crâne", il vient offrir avec les appareils qu'il lui reste, de tenter un dernier effort,
ne serait-ce, dit-il "que pour l'honneur du Régiment et dc son arme".
Les lignes des tirailleurs se redressent.
Les chars d'assaut les précèdent.
Sous les pressions des 1e et 3e Bataillons du 114 et de la 165e DI,
l'ennemi fuit alors pour évacuer Belloy. L'avance continue.
A 18 heures 30, le groupement des 1e et 3e Bataillons a réussi à se fixer
sur le chemin de terre Belloy — cote 97 — Mortemer.
Arrivés là, des rafales de mitrailleuses dirigées du bois de Latau1e que n'a pu forcer
la 165e D I, se mettent à balayer le sol, les hommes se terrent,
les 5 tanks, leur réservoir crevé, sautent en l'air, puis on s'arrêt un instant
semble-t-il.
 Mais l'arrêt se prolonge, la nuit commence peu à peu à tomber.
Sur ce terrain déchiqueté, labouré en tous sens par l'avalanche de fer,
l'ombre glisse à présent noyant dans ses plis les grands blés qui ondulent
et frissonnent encore sous la rafale...
Le spectable est d'une indicible tristesse.
Dans Méry, dans Belloy, l'incendie fait rage.
En avant de la première ligne, la jalonnant comme autant de gigantesques torches,
dix-sept tanks, la carcasse éventrée, les entrailles pendantes, achèvent lentement
de brûler. Autour d'eux des cadavres à demi carbonisés contractés
ou recrocquevillés dans d'horribles poses jonchent lamentablement le sol.
Ce sont ceux des hommes de l'équipage ou des troupes d'accompagnement
que l'explosion a consumés.
Partout dans la plaine, dans les herbes, dans les chemins creux,
le même cri s'exhale étouffé et poignant : brancardiers ! brancardiers!
des blessés par petits groupes s'entraidant pour mieux marcher,
se dirigent vers les postes de secours.
De tous les trous émergent des silhouettes uniformes surmontées du même casque,
celles des survants  de la grande lutte qui, domptant la fatigue, grisés par la fièvre,
fouillent la nuit de leur regard de lynx habitués à tout voir et à tout deviner...
A leurs pièces, les mitrailleurs veillent, le tireur à cheval sur sa selle,
le chargeur accroupi à ses côtés, une bande dans les mains...
De temps à autre ils ouvrent le feu pour ratisser le terrain où tout se
brouille et tout s'enchevêtre.
Des 105 s'écrasent dans des éclaires pourpes,
çà et là, des fusées montent tout droit au ciel pour s'épanouir dans une
gerbe mauve.
Puis, le silence, le grand silence à peine coupé s'appesantit
à nouveau sur les hommes et sur les choses...
C'est comme le râle de la bataille assoupie un instant,
mais qui va s'éveiller aux premières lueurs.

Pendant ce temps, la Mort passe au milieu des blés, s'approche de
ceux qui, invisibles, souffrent sans espoir depuis plus de 12 heures et
compatissante, leur ferme doucement les yeux...

Extrait des pages 29, 30 et 31 de l'historique du 114 au feu  (source Gallica BnF)
 
  
Médiathèque, maison de la vie associative, 2 rue de l'église 79000 SCIECQ
                                                                   Contact ¦ Mentions légales ¦ Informations sur le site ¦